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Sroka, comestibles, les mouches :
Analyse des tableaux.
shim transpar
2/. Les mouches sur les comestibles, un
double jeu.

Les mouches sur les comestibles semblent être, au premier abord, un classique trompe-l'oeil, semblable à ceux de la Renaissance. Mais Sroka élabore en fait un double jeu: il joue avec les codes de la peinture traditionnelle en laissant croire à une mouche peinte, puis détrompe le spectateur: le trompe-l'oeil est lui-même une illusion, et les mouches sont en plastique (made in China).
Mais pour que le dispositif fonctionne, il faut mettre en place une subtile stratégie:amener d'abord le spectateur à prendre connaissance de l'image d'une façon globale, puis le faire rentrer dans le local, qui dévoile la supercherie. Comment Sroka s'y prend-t-il pour manigancer ce jeu visuel?
Le peintre peut agir sur le dispositif spatial de son image dans deux domaines: le rapport entre figure(s) et cadre (cadrage), et le rapport entre figure et fond.
Dans toute la série des comestibles, Sroka isole d'abord la figure en adoptant un cadrage serré, ce qui amène le spectateur à prendre connaissance globalement de l'image (le comestible). Ce cadrage est celui du portrait: il introduit donc une proximité affective entre la figure peinte et l'observateur, ce qui contribue à dramatiser la relation à la peinture. Le procédé est courant chez Sroka, notamment dans les peintures où il figure des objets inanimés. Les fonds, de couleur diverse, parfois soutenue (poulet rôti), mais toujours unie, renforcent l'impact de cet '"effet de portrait" en imposant la figure au premier plan.
Ce sont les mouches, détail iconique, qui vont conduire le spectateur à établir avec l'oeuvre une relation de proximité, et par là même dévoiler leur statut local de double illusion. Mais elles vont aussi offrir le détail pictural, "qui ne représente pas et ne donne donc rien d'autre à voir que la matière picturale elle-même" (Cf. Daniel Arasse, le détail), au regard scrutateur du spectateur, dans une relation intime (moins de 45 cm, selon l'anthropologue E.T. Hall) avec la surface peinte: les jus de térébenthine colorés, infiniment diversifiés, de Sroka (fromage Président, saucisse de Cracovie) nous conduisent à la limite, proche du chaos primordial, où le pictural devient image en même temps qu'il surgit de l'image: d'où la fascination exercée par ce double "effet de détail".
Grâce à la mouche et à l'utilisation de la distance intime que réclame l'examen des détails picturaux, Sroka construit un espace polysensoriel, qui implique non seulement le visuel, mais aussi le tactile. "L'espace tactile soumet le corps du percevant à l'objet perçu, alors que la vue tient à distance l'objet", écrit J. Lupien, tandis que E.T. Hall indique que lorsque l'artiste sollicite les deux sens en même temps, alors "l'expérience de l'espace est rendue dans sa plénitude". (Les deux sont cités par Anne Beyaert dans "Le monde de la mouche")
Au-delà de ces jeux sur l'histoire, les codes traditionnels et l'espace de la peinture, et sur le regard du spectateur, la mouche fait sens (Toute peinture véritable est polysémique), et nous renvoie à l'organique, à l'éphémère et au corruptible, donc à la mort, à la décomposition, et à notre nature commune.


Bibliographie:

- Daniel Arasse: Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, Idées et Recherches, 1992
- Anne Beyaert: Le monde de la mouche, 2002 (Protée, vol. 30 n° 3)
- M. Carani: La sémiotique visuelle, le plastique et l'espace du proche, 1996. Protée, vol. 23 n° 2.
- J. Fleming: Trompe-l'oeil, crypsis et techniques de représentation, 1994. Protée, vol. 22 n° 3.
- E. T. Hall: La dimension cachée. Paris Seuil, 1978.
- J. Lupien: Perception polysensorielle et langage pictural, 1991. Degrés, n° 67.