Fin de la saison polonaise en France, avec l’oeuvre de l’artiste Sroka.
La saison polonaise s’achève par une apothéose. D’une part, on rend hommage à Bruno Schultz, de l’autre on expose Sroka pour une trop brève durée.
Mais il en est souvent ainsi en matière de feux d’artifice.
Pour des motifs aussi obscurs que de mauvais désirs, la peinture polonaise ne jouit pas en France d’un statut satisfaisant. Pourtant, les talents n’y manquent pas d’envergure. Il y a quelques années, le Centre Pompidou consacrait une manifestation à l’art polonais.
Il n’en est resté, semble-t-il, qu’un lointain souvenir, comme si la France demeurait réticente à des productions dont elle ne perçoit pas l’urgence créatrice ou, dans le cas de Sroka, l’intelligence brute, une cruauté voisine de celle prônée par Antonin Artaud.
Sroka est l’un des peintres les plus significatifs de notre époque.
Il se caractérise par un mélange de postures, de styles si l’on préfère, où un réalisme aussi menaçant que subtil rivalise avec des essais réussis d’images oniriques.
Et le traitement change.
Tantôt, l’on se trouve face à une peinture brossée, au sujet souvent compact, tantôt à une délicatesse de touche et à un délié de la composition. Et ces derniers temps, à des images dé-peintes, volontairement grossières et grumeleuses, d’un format plus réduit, qui rapprocherait Sroka d’un "dirty painting". Quoi qu’il en soit, Sroka surprend, suscitant l'étonnement.
On le constate, Sroka subvertit des clivages. Il est, pour ainsi dire, des deux côtés d’une barrière. Il s’inscrit dans une tradition que sa pratique dénonce sans pourtant la récuser. On perçoit certaines de ses sympathies pour une peinture grosso modo tournée vers l’expressionnisme et ses applications polonaises et américaines.
Mais surtout, on observe, sous ses divers aspects, ses diverses périodes donc, la manifestation d’une double constante : la dramatisation, grâce à sa capacité de mettre en scène son expérience et un travail sur la présence qui, quand il touche aux hallucinations, repousse la figure derrière des pluies d’objets jusqu’à la rejeter vers l’invisible. Et lorsqu’il aborde des représentations du réel, il force l’image jusqu’à la rendre prégnante, c’est-à-dire, d’une certaine façon indispensable. L’image atteint alors la qualité d’un archétype, à la violence apprivoisée.
Son travail s’apparente quelque peu aux oeuvres modelées de Boltanski pour qui la présence se résout à une trace douloureuse et consternante, à un débris sinon à un détriment de la mémoire.
Pour Sroka, la figuration, parfois malmenée, massive et comme coagulée est une empreinte qui scelle l’histoire présente et passée. D’une manière comme de l’autre, on ne peut l’éviter.
L’effacement inquiète et le spectateur s’emploie à découvrir la personne occultée. Par ailleurs, il force l’évidence. En ce cas, la présence ne l’est jamais assez.
Sa peinture répond d’une sensibilité singulière, exacerbée et n’inspire pas un soupçon de sentimentalisme : elle frappe et l’on en sort fasciné et groggy. Au cours des années quatre-vingt, elle a été une réponse immédiate à l’actualité, une réaction insurrectionnelle, si l’on veut.
C’est pourquoi, Sroka est un immense peintre d’histoire et ses images, à vocation mentales et sociales, l’attestent. Il peint un air du temps carbonisé. Un air où l’on r\’cdve, mais où l’on ne songe pas. Un air d’individus amochés accompagnés de chiens. Un air des nuits arpentées par Restif de La Bretonne, un Restif kidnappé pour les besoins d’une partie de son oeuvre.
Un air où les hommes ressemblent à un ready-made, à un truc mal foutu et manufacturé, à une enseigne de boutique aux couleurs préméditées pour résister aux saisons et aux avatars du temps. Un air où, toutefois, des groupes acquièrent la beauté des crucifixions, sous un ciel désolé car absent.
Un air, enfin, de dérision jubilatoire.
Un air où le grotesque, un certain grotesque, se marie à une politesse incongrue des formes.à l’instar de tous les peintres polonais, Sroka a souffert d’un malentendu.
On s’est vite empressé, sous notre latitude, de penser que ces peintres étaient affectés par une esthétique officielle, révoquée pourtant dès le début 1957 ou qu’ils imitaient, à retardement et sans génie, la peinture occidentale. Aux États-Unis, comme en Allemagne ou au Japon et ailleurs, on a accueilli ses travaux dans les musées. Ici, on mégote. Chipoter, c’est critiquer par l’insignifiance.
Nous ne méritons pas que Sroka soit relégué dans on ne sait quelle province de l’art. Sroka est un original et cela suffit pour qu’on considère sa peinture qui ne l’est pas moins.
Denis Fernàndez Recatalà
Sroka, galerie Garcia-Laporte, 13, rue Miromesnil Paris 8e. Jusqu’au 15 décembre. Site Jacek Sroka : www.sroka.pl.